Les angles morts du skills-based hiring... Et comment les contourner

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Chez OpenClassrooms, le skills-based hiring (ou recrutement basé sur les compétences) est une démarche clé pour la réalisation de notre mission : ouvrir les portes de l’emploi sur la base des compétences réelles, et non du diplôme, du piston, de l’école ou du réseau est la raison d'être qui motive nos actions. Comme beaucoup de leaders RH, nous sommes convaincus que cette approche peut transformer le recrutement, donner leur chance aux autodidactes, valoriser les reconversions, et faire émerger des talents souvent invisibles ! 

Mais pour tenir ses promesses, le skills-based hiring doit être bien plus qu’un idéal. Car derrière le principe vertueux d’objectiver le recrutement, se cache le risque de biais : des algorithmes peu transparents, la difficulté à formuler ses compétences quand on n’a pas les bons codes, des soft skills érigées en objectifs absolus… Sans vigilance de la part des recruteurs, cette approche risque de reproduire les inégalités mêmes qu’elle souhaitait corriger. Pour fonctionner, elle doit s’accompagner d’une grille de lecture éthique, et d’une démarche cadrée… 

Alors, comment faire en sorte que le skills-based hiring tienne réellement sa promesse d’inclusion ? Dans cet article, on vous aide à identifier les angles morts du recrutement basé sur les compétences - et on vous propose des pistes concrètes pour construire un recrutement juste et diversifié !

Piston, inégalités, algorithmes… Les angles morts du Skills Based Hiring

Commençons par le commencement : le skills-based hiring, c’est quoi ? Ce mode de recrutement basé sur les compétences repose sur un principe simple mais ambitieux : recruter des candidats en fonction de ce qu’ils savent faire, plutôt que selon leur diplôme, leur titre ou leur parcours. Concrètement, cela signifie que les recruteurs évaluent les candidats à partir de leur maîtrise de compétences techniques et comportementales (dits hard et soft skills), plutôt que de considérer comme prérequis un certain niveau d’étude ou un nombre d’années d’expérience dans un poste. Ce qui passe par l’analyse des réalisations concrètes du candidat, des mises en situation, des tests pratiques, des portfolios ou encore par des grilles d’évaluation.

Ce modèle s’inscrit dans une volonté de rendre le recrutement plus équitable, plus inclusif et plus en phase avec les nouvelles réalités du marché du travail : montée en puissance de l’autoformation, reconversions professionnelles, essor des métiers hybrides, essoufflement des modèles scolaires traditionnels. C’est aussi une approche qui paie pour les employeurs : selon le BCG, une recrue embauchée pour ses compétences (vs pour son parcours académique), est 5 fois plus susceptible d’atteindre de hautes performances professionnelles.

Cette efficacité amène le recrutement basé sur les compétences à être souvent présenté comme une réponse équitable à un marché de l’emploi complexe. En réalité, il reste à relever de nombreux défis qu’il est essentiel d’avoir en tête lorsque vous pensez votre stratégie RH ! Voici les principaux à avoir dans votre viseur :

#1 - Les inégalités systémiques

Le skills‑based hiring revendique une équité à toute épreuve, valorisant les compétences plutôt que les diplômes. Mais cette approche oublie souvent une réalité de fond : tout le monde ne dispose pas des mêmes conditions pour développer, valoriser ou faire reconnaître ses compétences.

L’accès à la formation, à l’information, aux bons outils ou aux environnements favorables n’est pas uniforme. Les personnes issues de milieux modestes, les travailleurs précaires ou les jeunes sans réseau peinent à se projeter dans des référentiels de compétences conçus par et pour des profils déjà bien insérés.

Résultat : le skills-based hiring, s’il n’est pas accompagné d’une vraie politique d’inclusion et d’accompagnement, risque de reproduire les inégalités qu’il prétend résoudre, en créant une méritocratie… à accès différencié.

#2 - Le piston, ennemi du skills-based hiring

Même dans un recrutement centré sur les compétences, les logiques de favoritisme et de piston persistent parfois dans l’ombre. Bien qu’il soit difficile d’établir des statistiques objectives sur le sujet, un profil “pistonné” peut être sélectionné plus vite sans validation objective de l’adéquation entre compétences réelles du candidat et poste à pourvoir, reproduisant ainsi une logique biaisée. 

#3 - L’absolutisme autour des soft skills

Les soft skills ou compétences comportementales (communication, autonomie, leadership, adaptabilité, etc) sont souvent présentées comme des marqueurs universels de performance. 80 % des recruteurs les considèrent comme essentielles à la réussite de l’entreprise !

Elles sont pourtant difficiles à évaluer de façon objective : une grande partie d’entre elles sont également très liées à l’éducation, ou au milieu social dont est issu le candidat, créant naturellement un déséquilibre dans le sourcing des talents. Un système qui valorise trop les aptitudes comportementales peut notamment exclure des talents techniques, introvertis, ou issus de milieux modestes, pour qui ces compétences sont moins valorisées socialement.

#4 - Un langage et des critères professionnels excluants

La formalisation des compétences à l’aide de jargon métier peut exclure des profils atypiques. Les profils non-initiés à ces termes et ne maîtrisant pas l’art du CV (artisans, ouvriers, autodidactes, profils en reconversion, etc) peinent souvent à formuler clairement leurs expériences

Résultat : le système de recrutement basé sur les compétences peut pénaliser ceux qui ont (concrètement) appris sur le terrain, mais ne maîtrisent pas un lexique professionnel codifié pour mettre en valeurs ces apprentissages. Pourtant, la France ne manque pas d’exemples de profils atypiques, ayant su faire fi d’un démarrage difficile sur le marché du travail ! 

Des figures comme Xavier Niel (fondateur et actionnaire principal d'Iliad) ou Ramdane Touhami (entrepreneur) ont démarré sans réseau, sans diplôme prestigieux, mais ont gravi les échelons grâce à l’expérience concrète. Le premier est aujourd’hui l’une des premières fortunes de France, tandis que le second est passé de SDF à chef d’entreprise reconnu. 

Les profils techniques et autodidactes sont bien souvent dépourvus des codes nécessaires pour transformer leur vécu en compétences normées. Sans accompagnement, cette écriture de compétences invisibilise des candidats potentiellement très performants.
Des profils plus jeunes, avec des expériences de vie non estampillées "professionnelles", méritent aussi d’être mis en lumière. C’est le cas de Guillaume Rozier, ingénieur de formation, qui a développé les applications CovidTracker et ViteMaDose pendant le confinement, à seulement 24 ans. Ce jeune talent, dans un contexte de crise, a mobilisé ses compétences techniques et son sens de l’intérêt général pour répondre à un besoin collectif urgent. Ce type de parcours, souvent ignoré par un recrutement classique, incarne parfaitement ce que le skills-based hiring peut valoriser : l’impact concret, l’autonomie, la débrouillardise, la capacité à apprendre et à livrer des solutions dans un contexte réel.

#5 - Des outils d’évaluation qui ne sont pas neutres

L’usage d’algorithmes alimentés à l’intelligence artificielle (IA), afin d’évaluer les compétences des candidats, fait fureur dans la sphère RH. Cependant, ces outils présentent plusieurs risques et biais :

  • Manque de transparence : la plupart des outils restent peu transparents, sans contrôle externe rigoureux et soumis aux critères opaques d’un algorithme tout-puissant ;

  • Influence des données historiques : les outils d’IA sont entraînés sur des bases de données souvent issues de l’analyse de profils majoritairement masculins, blancs ou diplômés. Ils tendent à reproduire ces modèles, excluant ainsi les femmes et les minorités sous-représentées - ou sur-représentées ! Des études montrent ainsi que les algorithmes de recrutement peuvent cibler des publics composés à 85 % de femmes pour les postes de caissières dans les supermarchés ou à 75 % d'Afro-Américains pour les emplois dans les compagnies de taxis ;

  • Risque de discrimination par absence de diversité : les personnes en situation de handicap ou neurodivergentes sont fréquemment exclues par les systèmes automatisés, qui supposent une capacité à se conformer à un format vidéo ou de langage standardisé

Tous ces angles morts ne signifient pas pour autant qu’il faut jeter aux oubliettes le recrutement basé sur les compétences - bien au contraire ! Ils rappellent simplement que, comme toute méthode, il ne peut être réellement transformateur que s’il s’inscrit dans une vision du recrutement plus large, consciente de ses propres biais et capable d’évoluer.

Voici quelques pistes concrètes pour rendre le recrutement réellement plus juste, en dépassant la promesse du skills-based hiring pour en faire une pratique cohérente, inclusive… et efficace. 

Nos solutions pour un recrutement par compétences réussi

Diversifier les viviers de talents

La diversité est un levier exceptionnel de performance pour les entreprises. Selon une étude de McKinsey, les entreprises les plus avancées en matière de politique de diversité et inclusion peuvent espérer entre 25 % et 36 % de surperformance par rapport aux entreprises peu actives sur ces sujets; 

Et parfois, les talents (et les compétences) sont là où on ne les attend pas. La bonne pratique : multiplier les canaux de recrutement. N’hésitez pas à explorer les leviers stratégiques suivants pour enrichir votre approche RH : 

  • Nouer des partenariats avec des acteurs engagés (réseau des Écoles de la 2e chance, associations, initiatives locales) ; 

  • Lancer des campagnes de recrutement ciblées sur des bassins géographiques ou sociaux sous-représentés ;

  • Intégrer des critères d’inclusion dans les appels d’offres pour les cabinets de chasse partenaires ;

  • Participer à des événements de recrutement “hors cadre” : forums dans les quartiers prioritaires, salons inversés, speed-meetings métiers…

Miser sur des outils et formats d’évaluation plus justes

Le recrutement basé sur les compétences ne peut tenir ses promesses d’équité que si les outils d’évaluation sont eux-mêmes pensés pour éviter les biais. 

Comme l’explique Stéphanie Fraise, « Aucun processus humain n’est neutre, nous sommes tous pétris de biais ! Chez OpenClassrooms, nous sommes justement convaincus qu’une approche rigoureuse du recrutement basé sur les compétences permet de réduire les risques au maximum. Mais cela implique d’être neutre dans la conception des processus, la définition des parties prenantes impliquées, les méthodes d’évaluation des compétences… »

Ainsi, à chaque étape du processus de recrutement, les biais doivent être minimisés :

  • Lors la rédaction de la fiche de poste ;

  • Dans la définition du processus de recrutement ; 

  • En listant les compétences recherchées, les méthodes d’évaluation de ces dernières et leur distribution dans le processus de recrutement ;

  • En s’assurant que les questions posées à chaque étape du recrutement soient les mêmes pour tous les candidats ;

  • Par l’analyse rigoureuse, selon des grilles spécifiques, des étapes du recrutement ;

  • Par la sensibilisation des hiring managers à l’existence des biais dans le recrutement, en les format pour les aider à minimiser ces derniers.

Chez OpenClassrooms, certains leviers spécifiques ont été mis en place, comme le précise Stéphanie Fraise : « Nous nous appuyons sur des outils comme des score cards, mais aussi un business case passé par les candidats. Par ailleurs, la relecture de la fiche de poste, les grilles de compétences et le débriefing du business case… sont soutenus  avec l’aide de l’intelligence artificielle, qui nous permet de bénéficier d’un regard objectif tout en conservant l'esprit critique et objectif du recruteur. »

Par ailleurs, bien que les soft skills soient difficilement quantifiables, elles peuvent etre objectivées par le biais de certaines approches. Par exemple, les recruteurs peuvent demander aux candidats d’évoquer des exemples concrets de situations précises metant en scène les compétences recherchées, ou s’appuyer sur l'utilisation de business cases. Plusieurs approches croisées et répétées lors du processus de recrutement permettent ainsi de maximiser l'objectivation de la maîtrise d’une compétence donnée.

Garantir l’équité dans le screening des candidats

Le screening est souvent l’étape où les biais s’expriment : à la lecture d’un CV ou au détour d’un bref échange téléphonique, ce sont les signaux faibles (âge, origine, manière de s’exprimer, codes culturels) qui guident inconsciemment la sélection. 
Attention : garantir l’équité dans le recrutement ne consiste pas à rendre le processus totalement impersonnel et rigide pour autant, mais plutôt à mettre le doigt là où les biais sont les plus puissants. Pour ce faire, vous pouvez par exemple envisager de : 

  • Structurer l’évaluation des soft skills avec des grilles communes ;

  • Passer au screening anonymisé dans les premières phases ;

  • Combiner screening humain et tests techniques ou études de cas pour offrir une double lecture des compétences du candidat ;

  • Croiser les regards : garantir la revue de la candidature par ou des échanges avec au moins deux recruteurs ou managers, avant de refuser le CV.

Créer des ponts à l’intérieur de l’organisation

Vous le savez sans doute : beaucoup de profils compétents sont déjà dans votre entreprise… Mais parfois, ces derniers ne rentrent dans aucune case ou passent sous les radars. Par modestie, par manque de réseau interne, par absence de reconnaissance de la part de leurs managers… 

Les annales des entreprises regorgent d’exemples de top managers et dirigeants ayant commencé leur carrière professionnelle sur le terrain pour leur employeur, et ayant gravi peu à peu les échelons. Imaginez un instant : si à chaque barre de l’échelle se présente un biais ou une friction, combien de talents potentiels ont-ils été bloqués dans leur ascension ou relégués aux oubliettes ? 

Pour éviter cette situation, vous pouvez notamment : 

  • Mettre en place des audits internes de compétences pour repérer les potentiels cachés (sur-performeurs, collaborateurs sous-utilisés, etc.) ; 

  • Instaurer des programmes de mentoring inversé ou de montée en compétences via la mobilité horizontale. La société Schneider Electric a ainsi utilisé l’intelligence artificielle pour matcher les postes de ses collaborateurs avec des opportunités de mentorat, et de nouvelles opportunités professionnelles ;

  • Créer une plateforme dédiée à la mobilité interne, à l’image de L’Oréal et de sa plateforme POP (Positions Open Portal), grâce à laquelle 75 % des postes affichés sur les sites de carrière ont finalement été pourvus par des collaborateurs du groupe ! 

Mettre en place un programme de cooptation - sans les biais !

La cooptation peut être un levier puissant… ou un outil de reproduction sociale, selon la manière dont elle est pensée. Comment penser la recommandation comme un outil d'inclusion communautaire, plutôt qu’ un privilège réservé aux initiés ? 

Pour des axes concrets, n’hésitez pas à découvrir notre article dédié au sujet. Et si vous préférez un résumé, voici 3 recommandations pour vous lancer : 

  • Encadrer les programmes de recommandation avec une charte éthique et des objectifs de diversité ;

  • Sensibiliser les équipes à la différence entre piston et recommandation ;

  • Valoriser la cooptation de profils “hors cadre” dans les primes ou reconnaissances internes. 

Le mot de la fin : le skills-based hiring n’est pas une solution magique aux défis du recrutement traditionnel, mais une opportunité. À condition de l’appliquer avec lucidité, transparence et équité. Recruter sur les compétences, ce n’est pas effacer les parcours, mais plutôt élargir le regard. À vous de transformer cette promesse en véritable changement culturel dans votre entreprise ! 

Pssssst : vous souhaitez former vos équipes à cette pratique et en faire un levier puissant de recrutement ? Découvrez notre module numérique gratuit, “Recrutez par les compétences” !

Noémie Kempf

Content Strategist et créatrice du podcast The Storyline, Noémie Kempf explore les rouages du storytelling et a rédigé de nombreux articles sur la place des marques dans le futur du travail.

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