Réseau ou piston ? Comment utiliser la recommandation sans fausser le recrutement
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La France, nation championne du piston ? En matière d’accès à l’emploi, les Français représentent un paradoxe bien à eux. D’un côté, ils dénoncent le piston. De l’autre, ils considèrent ce dernier comme redoutablement efficace pour décrocher le job de leurs rêves. Utiliser son réseau pour accéder à une opportunité professionnelle, ce n’est pas tricher - à condition de respecter certaines règles ! Dans cet article, on vous aide à faire la différence entre réseau et piston, et à activer le premier sans tomber dans les travers du second.
Le piston est une pratique qui n’a rien de nouveau. En 2010, pas moins de 88 % des Français estimaient que le piston primait sur le talent. Et selon la moitié d’entre eux, le pays surclassait toutes les autres nations sur ce terrain. Ajoutez à cela une culture élitiste bien ancrée, où l’on distingue avec soin les diplômés des Grandes Écoles et où l’on parle de « voie royale » pour alimenter les hautes fonctions de l'administration ainsi que le board des grandes entreprises… Et vous obtenez un cocktail explosif : une défiance profonde vis-à-vis des réseaux, doublée d’un système qui en dépend largement.
Depuis, pas grand chose de neuf sous le soleil : en 2021, une étude Randstad affirmait qu’un recrutement sur trois est effectué via le marché invisible de l’emploi (cooptation, candidature spontanée, réseau, fin de mission d’intérim, etc). Bien que le recrutement via ce dernier ne soit pas systématiquement synonyme de piston, ce chiffre révèle tout de même une réalité forte du marché de l’emploi : encore aujourd’hui, la large majorité d’opportunités circulent par des canaux informels : bouche-à-oreille, cooptation, recommandations. Bref, le réseau.
Mais alors, faut-il vraiment jeter la pierre à ces pratiques ? Et surtout, faut-il tout mettre dans le même sac ? Entre le piston (celui qui contourne les règles) et le réseau (celui qui éclaire les chemins), il existe une frontière fine… mais décisive. C’est cette nuance qu’on vous propose d’explorer dans cet article.
Où commence le réseau et où s’arrête le piston ?
Dans le langage courant, les termes réseau et piston sont souvent utilisés de manière interchangeable. La frontière entre les deux peut sembler floue : dans les deux cas, une personne obtient une opportunité professionnelle grâce à l’intervention d’une autre. Mais la ressemblance s’arrête là.
Le réseau, c’est l’art de tisser des liens, de construire des relations professionnelles dans la durée, et de faire circuler l’information. Il permet à une personne d’accéder à des opportunités qu’elle n’aurait peut-être pas identifiées seule, et à un recruteur d’identifier des profils autrement invisibles. Le réseautage est une démarche proactive, fondée sur la réputation, l’expérience et la reconnaissance des capacités d'un professionnel.
Le piston repose sur une logique d’exception. Il intervient quand un individu obtient un poste non pas grâce à ses compétences, mais grâce à l’influence de son entourage. On ne recommande plus : on impose. On ne valorise plus des compétences : on contourne un processus. Le piston ne connecte pas, il favorise, et c’est bien là que le bât blesse.
Comment différencier réseau et piston ?
La différence entre piston et réseau tient à deux critères clés :
La transparence du processus : une cooptation saine n’empêche pas l’évaluation rigoureuse du profil candidat. Le réseau doit enrichir le vivier de candidats, pas le verrouiller ;
La légitimité de la recommandation : un bon réseau repose sur la confiance professionnelle et la reconnaissance des compétences de la personne recommandée, pas sur des relations personnelles ou statutaires.
Un salarié recommande un ancien collègue reconnu pour son expertise, et ce dernier passe les mêmes entretiens que les autres candidats, pour aboutir sur une embauche ? C’est du réseau.
Un poste est pourvu sans publication de l’offre d’emploi sur les job boards ou en interne, sans entretien formel, parce que “le fils de…” devait être placé ? C’est du piston
L’un nourrit la diversité et l’efficacité du recrutement. L’autre creuse les inégalités et sape la confiance dans les décisions RH.
Comme l’explique Stéphanie Fraise, CHRO d’OpenClassrooms :
« Une recommandation est plus neutre. Bien qu’elle favorise l’émergence d’un profil parmi un flot de candidatures, elle ne garantit en rien l’issue du processus qui doit se dérouler de manière normale, avec toute l'objectivité nécessaire au traitement de chacune des candidatures. »
Pour les recruteurs, il est donc essentiel de valoriser la cooptation ou la recommandation éclairée, sans renoncer à l’équité des parcours de sélection. Car oui, on peut allier performance… et intégrité.
Le réseau, un avantage pour les talents… et les RH
Qu’on le veuille ou non, le réseau est devenu une composante incontournable du marché de l’emploi. Invisible, informel, mais bien réel, il dessine les trajectoires professionnelles, quitte à redéfinir la notion même d’opportunité.
Réseautage : un levier clé pour les candidats
LinkedIn estime que 70 % des offres de job ne sont jamais publiées en ligne. De manière plus générale, le « marché caché » (qu’il se manifeste en ligne ou via les canaux physiques) de l’emploi n’est pas réservé à une élite, mais il reste accessible uniquement à ceux qui disposent des bonnes connexions.
Autrement dit, les candidats qui s’appuient sur un réseau professionnel actif, diversifié et bien entretenu multiplient considérablement leurs chances de se positionner sur des postes invisibles au grand public.
Au-delà de l’accès à des offres, entretenir son réseau permet :
De mieux comprendre les codes d’un secteur ou d’une entreprise (valeurs, fonctionnement, attentes implicites) grâce aux témoignages de personnes en poste ;
D’obtenir des recommandations crédibles auprès de recruteurs ou de managers, renforçant ainsi la légitimité d’une candidature ;
De gagner en confiance sur ses compétences et en visibilité sur son profil, en échangeant régulièrement avec d’autres professionnels, lors d’événements, de formations, ou sur les réseaux sociaux ;
D’accélérer certaines transitions, comme un retour à l’emploi ou une reconversion, en identifiant des pistes concrètes via des interlocuteurs déjà passés par là… Ou tout simplement, en faisant venir à soi des opportunités concrètes.
En bref, le réseau est un outil stratégique essentiel pour naviguer dans un marché du travail en constante mutation. Comme le précise Stéphanie Fraise :
« le réseau d’un candidat est indéniablement important : c’est une opportunité pour sortir du lot, pour être informé d’opportunités qui ne sont pas toujours visibles. Par ailleurs, la qualité du réseau d’une personne dit déjà quelque chose de ses soft skills qui pourra ensuite être creusé lors du processus de recrutement : intelligence situationnelle, capacité à créer des liens… »
Le réseau, un atout pour les recruteurs… quand il est bien utilisé
Côté RH, le réseau constitue également un levier puissant, notamment via la cooptation. En France, plus d’un recrutement de cadre sur trois passe par ce biais. Et pour cause : faire appel à ses collaborateurs pour recommander des profils, est souvent synonyme de :
Réduction du temps et du coût d’un recrutement, grâce à un sourcing plus ciblé ;
Obtention de candidatures de qualité, souvent mieux informées sur les attentes du poste et plus motivées ;
Renforcement de la culture d’entreprise, les personnes cooptées ayant généralement une affinité culturelle avec l’entreprise ;
Augmentation des taux de rétention, les salariés recrutés par recommandation ayant tendance à rester plus longtemps dans l’entreprise. Selon certaines études, les collaborateurs issus de la cooptation présentent un taux de rétention 45 % plus élevé que les autres sources !
Le skills-based hiring, à la rescousse du recrutement
Mais pour que le réseau soit un outil de recrutement vertueux et ne tombe pas dans le favoritisme ou le piston, il doit respecter des critères. À commencer par un processus de recrutement ouvert, traçable, et fondé sur les compétences (on parle de skills-based hiring). Cette approche nécessite notamment d’être conscient, en tant que recruteur, des biais inhérents au fonctionnement des réseaux.
Une vigilance nécessaire face aux inégalités
Il y a forcément un revers à toute médaille. Celui du réseau, en tant que capital social, c’est d’être inégalement réparti. Tout le monde ne bénéficie pas des mêmes cercles de confiance, ni des mêmes opportunités d’accès.
Ainsi, à CV équivalent, seuls 18 % des candidats portant un nom à consonance maghrébine décrochent un entretien pour un poste de cadre administratif, contre 25 % pour ceux au nom à consonance française. De même, selon l’Observatoire des inégalités, une personne équipée d’un appareil auditif pour compenser sa surdité est moins susceptible d’être conviée à un entretien d’embauche. D’après une étude de la Fondation des femmes, lorsqu’elle postule à un métier jugé masculin, une femme voit ses chances d’être rappelée chuter de 22 % par rapport à un homme, à compétences égales.
Autrement dit, le réseau peut aussi reproduire - voire renforcer - des dynamiques d’exclusion déjà présentes dans le monde du travail.
Pourtant, la diversité paie : une étude de McKinsey a révélé que les entreprises classées dans le premier quartile en matière de diversité ethnique et culturelle surpassent celles du quatrième quartile de 36 % en termes de performance, tandis qu’un écart de 48 % sépare les entreprises les plus diversifiées des moins diversifiées en matière de genre.
Les inégalités d’accès au réseau sont particulièrement marquées pour les jeunes issus de milieux modestes, les femmes, ou les personnes racisées. Pour ces publics, activer un réseau n’est pas une évidence, ni même une possibilité immédiate, faute d’ancrage dans les bons cercles. Cela pose une question centrale aux employeurs : comment garantir que le réseau reste un accélérateur, et non un filtre ?
Des initiatives existent : mentorat, grilles de recrutement inclusives, sensibilisation des collaborateurs… On vous propose de les découvrir dans la dernière partie de ce dossier !
Comment éviter les biais et faire du réseau un levier de recrutement efficace ?
Malgré les chiffres affolants partagés précédemment, recommandation ne rime pas forcément avec discrimination. Mais encore faut-il structurer l’usage du réseau, pour éviter les effets de filtre invisibles !
À l’heure où les entreprises cherchent à concilier performance, diversité et transparence, il est essentiel pour les RH de poser un cadre formel, mesurable et éthique autour de la cooptation.
Voici quatre leviers concrets pour y parvenir.
Clarifier les règles du jeu autour du recrutement via réseau
Très (trop ?) souvent, la cooptation et la recommandation reposent sur des pratiques implicites, à la discrétion des collaborateurs ou des managers. Or, cette opacité peut nourrir les biais, involontaires ou non.
Pour en faire un levier RH égalitaire, tout commence par la formalisation d’un cadre clair :
Définissez les critères d’éligibilité des recommandations (compétences, expérience, motivation, valeurs attendues…) sous la forme d’une grille de recrutement ;
Explicitez les étapes du processus de sélection, identiques pour tous les candidats, recommandés ou non ;
Assurez-vous que les profils recommandés passent par le même processus de recrutement (entretiens, tests, étapes, etc) que les autres candidats ;
Rendez visibles les postes ouverts à la cooptation, via des canaux internes accessibles à tous.
Offrir un tel niveau de transparence rassure, protège la réputation de l’entreprise… et protège des mauvaises surprises ou erreurs de casting !
Encourager les initiatives de réseau pour tous
Tout le monde n’a pas un réseau actif en sortie d’études. Pour que le réseau cesse d’être un privilège, il doit devenir un outil d’inclusion. Le but : élargir les cercles, connecter les talents, et créer des passerelles. Cela passe par :
Des programmes de mentorat entre juniors et seniors, ou entre collaborateurs et candidats issus de la diversité ;
Des événements ouverts (portes ouvertes, afterworks, webinaires métiers) qui permettent à des talents extérieurs de rencontrer vos équipes ;
L’animation d’une communauté de talents suivie dans la durée (anciens stagiaires, alternants, candidats prometteurs non retenus).
Un rôle fort à jouer pour les entreprises
Trop souvent, les recruteurs supposent que tout candidat bénéficie d’un réseau. La réalité, bien sûr, est toute autre : nombre de talents (jeunes diplômés, personnes issues de milieux modestes, en reconversion ou éloignées de l’emploi, etc) n’ont ni les codes, ni les contacts nécessaires.
Pourtant, le réseau reste l’un des leviers les plus puissants d’accès à l’emploi. En sensibilisant, formant vos talents et en leur partageant des ressources concrètes, vous pouvez aider ces profils à poser les bases d’un cercle professionnel qualifié et actionnable ! Les employeurs et la société ont un rôle crucial à jouer pour créer un terrain de jeu plus équitable pour les talents de tous horizons.
Former les managers à distinguer “recommandation” et “piston”
Les managers jouent un rôle clé dans l’évaluation des profils recommandés. Mais sans sensibilisation à la différence entre piston et réseau, le risque est grand de tomber dans le biais de confirmation. Vous pouvez ainsi envisager de leur proposer :
Des ateliers sur les biais cognitifs dans le recrutement, avec des mises en situation concrètes ;
Une grille de lecture concrète pour distinguer une recommandation fondée sur des faits (compétences observées, contexte professionnel) d’un simple lien relationnel ou affectif ;
Un système de double validation sur les profils cooptés, pour garantir la rigueur du processus et éviter les biais.
Diversifier les canaux de sourcing pour casser les bulles sociales
Un bon réseau pour recruter est un réseau vivant, ouvert et polyvalent. La diversification des canaux de sourcing est en effet un véritable avantage stratégique pour les entreprises ! Cette démarche contribue notamment à une meilleure performance, stimule l'innovation et améliore l'image de marque.
Pour éviter de tourner en rond dans les mêmes cercles, il est essentiel de varier vos sources de recrutement :
Allez faire un tour du côté des plateformes de recrutement spécialisées dans la diversité (par exemple, Mozaïk RH) ;
Créez des partenariats avec des écoles, associations, organismes publics engagés dans l’inclusion professionnelle (par exemple, la Plateforme de l’inclusion) ;
Mettez en place des dispositifs d’outreach auprès de publics éloignés de l’emploi (quartiers prioritaires, zones rurales, reconversions, etc.) en vous appuyant sur l’équipe RSE de l’entreprise
Le mot de la fin : le réseau n’est pas un problème en soi. C’est plutôt la manière dont on l’encadre, dont on l’ouvre et dont on l’active qui fait toute la différence. À vous de transformer ce levier naturel en un outil d’équité et d’ouverture - au service de vos futurs talents et de votre entreprise !
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