Futur de l’alternance : le modèle a fait ses preuves, défendons-le !
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Entre baisses annoncées des aides à l’embauche d’un alternant, inquiétudes des centres de formation et difficultés d’accès à l’emploi des jeunes apprentis dans certains secteurs, l’alternance traverse une zone de fortes turbulences. Pourtant, plus que jamais, ce modèle reste essentiel pour les employeurs.
Comment le modèle de l’alternance s’est-il imposé ces dernières années comme une stratégie de recrutement plébiscitée par les entreprises ? Quel impact sur ce dernier au vu des coupes budgétaires mises en place par l’État ? Pourquoi et comment défendre le modèle face à ces difficultés ?
Guillaume Houzel, Directeur général délégué au développement d'OpenClassrooms, nous a offert un éclairage sur ces questions à l’occasion d’un entretien.
OpenClassrooms (OC) : le secteur de l’éducation a connu ces dernières années de profondes transformations. Aujourd’hui, où en sommes-nous en France ?
Guillaume Houzel (GH) :
Au début des années 2010 s’est accentué un mouvement de fond très net et extrêmement positif : en France, on a compris que les enjeux de renouvellement des compétences, de formation professionnelle tout au long de la vie sont cruciaux. Cette prise de conscience s’est notamment matérialisée en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Par ailleurs, les modalités d’apprentissage ont elles aussi grandement évolué et aujourd’hui, tant du côté des employeurs que des jeunes ou des personnes qui se reconvertissent, la formation par la pratique a gagné en popularité. Cet allant contribue au succès du modèle de l’alternance ! Il permet d’immerger une jeune recrue directement dans la culture d’entreprise et offre un espace d’apprentissage concret. Chez OpenClassrooms, nous avons fait le choix de l’apprentissage par l’action, notamment par le biais de la pédagogie par projets. C’est un choix résolu car nous souhaitons que nos étudiants soient productifs avant même d’avoir leur diplôme.
Il reste cependant des frilosités. La formation en ligne est encore l’objet de forts préjugés. Souvent, on a tendance à l’associer à une forme de qualité moindre par rapport au présentiel et à la salle de classe traditionnelle. Ceci sans aucun argument sérieux : à l’épreuve des faits, OpenClassrooms démontre une capacité supérieure à favoriser en ligne la montée en compétence, l’obtention des diplômes et l’accès à l’emploi.
Et puis, dans le secteur très réglementé de la formation professionnelle, la paralysie et la fragilité des institutions publiques sont très délétères. Lorsqu’on y ajoute une forme de panique sur l’état des finances publiques, on se trouve dans une situation sans boussole collective, où tout devient incertain.
En conséquence, le mouvement en faveur de l’investissement dans les compétences des français - jeunes ou non - et l’innovation dans les pratiques pédagogiques rencontrent un certain nombre de freins. Les pratiques évoluent peu : le conservatisme ambiant n’y est pas forcément favorable. Et, bien sûr, la crispation sur les finances publiques ralentit elle aussi les initiatives.
OC : concentrons-nous sur l’alternance. Qu’est-ce qui explique son « explosion » ces dernières années ?
GH :
L’essor de l’alternance a eu lieu dans un contexte particulier dans le monde du travail, notamment sous l’influence de 3 leviers principaux :
De fortes tensions de recrutement. Au lendemain de l’adoption de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, créant les conditions du développement de l’apprentissage, 75 % des branches professionnelles s’inquiétaient des difficultés à recruter. On est passé en six mois de l’angoisse du chômage à celle du recrutement. L’alternance s’est imposée comme une solution pour recruter sans grand risque, car elle représente une sorte de « sas » d’entrée dans l’entreprise et sa culture de travail ;
Une motivation financière. Non seulement la loi créait un système généreux pour la formation par l’alternance, mais, durant la pandémie, le gouvernement a également choisi d’augmenter massivement les aides aux employeurs recrutant des alternants. L’enjeu était clair : éviter que les jeunes soient une fois de plus mis au chômage les premiers.
Une forte adhésion des entreprises à la formation par l’apprentissage. Ces dernières ont le sentiment de beaucoup mieux contrôler la montée en compétence qu’avec les formations plus académiques. Alors elles se lancent vite.
OC : récemment, l’alternance a encaissé un coup dur, avec une baisse graduelle des aides. Quel impact selon vous sur le marché de l’emploi et les jeunes ?
GH :
Les aides à l’embauche d’un alternant sont en nette réduction :
A partir de 2020 : 5 000 €, voire 8 000€ d’aides à chaque fois qu’un apprenti est recruté ;
En 2024, on comptait 6 000€ d’aides pour la première année de contrat (sous la forme d’une sorte de prime à l’embauche) ;
À partir de fin février 2025, nous sommes descendus à une aide oscillant entre 2 500 € et 5 000 € (en fonction de plusieurs paramètres, notamment la taille de l’organisation) ;
Pour ce qui est de 2026, tout le monde est encore dans le flou, mais la direction est claire : la première priorité du gouvernement est de réaliser des économies. Les objectifs de politiques publiques passent au second plan. Avec un risque, déjà évalué par l’INSEE qui évoque 65 000 emplois en apprentissage supprimé cet automne : freiner l’accès des jeunes à l’emploi.
OC : en parlant des jeunes, justement, aujourd’hui, les titres de la presse versent plutôt dans le catastrophisme. La situation de l’alternance est-elle si préoccupante ?
GH :
En effet, la presse est alarmiste. La situation est effectivement préoccupante.
Cependant, l’alternance, ces dernières années, a fait ses preuves et gagné ses lettres de noblesse. La transformation me semble majeure et profonde. Un retour en arrière paraît strictement impossible.
Aujourd’hui, la plupart des employeurs sont convaincus de la force du modèle du contrat d’alternance.
Cependant, je suis inquiet de voir les décisions récentes du gouvernement, qui posent des questions fondamentales à plusieurs niveaux :
Le risque de la baisse de la qualité. Baisser la prise en charge des formations, c’est mécaniquement réduire leur qualité. Et c’est un mauvais moyen pour combattre la fraude : ceux-là ne mettent de toute façon pas grand-chose dans la qualité ;
L’incertitude conduit à la paralysie. Lorsqu’on ne sait pas de quoi demain est fait, qui peut raisonnablement s’engager ? Les tergiversations autour de la loi de finances ont d’ores et déjà un impact concret sur la confiance des acteurs économiques. ;
La pénalisation des jeunes. Il y a un drôle de symbole à réinvestir dans le financement des retraites au moment où on coupe des moyens pour l’accès des jeunes à l’emploi.
OC : comment défendre le modèle de l’alternance face à ces défis de taille ?
GH :
La mesure des enjeux est la base. Sans vision politique et stratégique, nous continuerons à nous heurter à tous les obstacles. Or, toutes les études le confirment. L’investissement dans la formation professionnelle est clé pour conforter notre compétitivité économique et réussir à faire face aux transformations brutales et rapides qui bouleversent nos vies professionnelles. L’apprentissage ajoute la dimension de l’accès des jeunes au marché du travail. Pour la première fois depuis des décennies, on a résolu le double défi d’avancer l’âge du premier emploi et de réduire le chômage des jeunes. Le cap doit être gardé.
Ensuite, il faut assurer la confiance dans le système de formation professionnelle et d’alternance. La libéralisation opérée en 2018 a entraîné une croissance spectaculaire. Les financements disponibles, dopés en 2020, ont attiré non seulement des entrepreneurs, mais aussi des opportunistes voire des escrocs. Pour les employeurs, les actifs et surtout les jeunes et leurs familles, mais aussi pour les organismes de formation eux-mêmes, il est temps de déployer un système de contrôle à la hauteur des défis. Le socle est là, avec Qualiopi, France compétences, la Caisse des dépôts, les services régionaux et de contrôle ou de la répression des fraudes. Il importe de mieux l’organiser et de le rendre plus efficace. L’Etat ne doit pas hésiter à sanctionner les délinquants économiques.
Et pour parachever ce climat de confiance, je plaide vigoureusement pour que la puissance publique calcule et expose la performance des formations. Les données sont déjà disponibles. L’Etat et ses opérateurs collectent déjà toutes les informations sur les nouveaux apprentis inscrits dans chaque formation de chaque CFA, sur leur succès ou leur échec aux examens, sur leur devenir professionnel après la formation. Il est largement temps que ces informations l'aident à piloter et contrôler le système. Et que tout le monde accède à ces renseignements, vraiment clés pour savoir qui vaut quoi.

